Tschäggättä

Ce sont ces furieux compagnons que l’on peut voir sur divers panneaux d’affichage touristique dans le Lötschental (VS), et qui une fois par an prennent vie en période de carnaval. Ils portent de gros masques en bois sculptés avec amour (les habitants du Lötschental les appellent « Larven »), plusieurs couches de peaux de chèvres ou de moutons posées sur une grosse bosse artificielle. Une grosse cloche de vache (Trichla) sert de ceinture et renforce, par son timbre typique , ces créatures déjà effrayantes.

C’est grâce à Agnes Rieder que les « Tschäggättä » existent encore aujourd’hui. Cette douce personne a déjà sculpté plus de 200 masques qu’elle met à disposition des Lötschentaler lors des périodes du carnaval. Mais ce n’est pas tout. Depuis les années 70, elle se bat pour rompre avec les anciennes règles afin de pouvoir transposer cette coutume dans nos temps modernes. Mais une chose après l’autre.

Ils faisaient peur aux gens
Les origines de cette coutume ne sont pas claires. Tant Agnes que son fils Heinrich Rieder qui, tout comme sa mère, passe tout son temps libre à sculpter des masques, ne souhaitent prendre position.
Durant une longue période, les « Tschäggättä » usaient de leurs monstruosités entre la Chandeleur et le mardi avant le mercredi des Cendres – et je pèse mes mots. Ils déambulaient entre les étroites ruelles des villages, faisant peur aux gens, empoignant ces derniers pour les jeter dans la neige et les grimer au moyen de suie. Les femmes surtout étaient les « victimes » de ces pratiques. Seul les hommes de moins de vingt ans avaient le droit de se cacher sous ces masques. C’était pour eux une manière de courtiser (selon les dires d’Agnes Rieder). On rencontrait les « Tschäggättä » uniquement durant la journée, jusqu’à 18 heures. Et le dimanche, la pratique du « Tschäggättä » était interdite. C’est la raison pour laquelle, dans les années 60, cette coutume a failli disparaître. De plus en plus d’hommes étaient absents durant la journée, car ils travaillaient en dehors de la vallée ou suivaient leur formation professionnelle. C’est ce que raconte Agnes qui, déjà à l’époque, sculptait beaucoup de masques grâce à l’enseignement de son mari Ernst.

Elle et son défunt mari se sont battus, au grand désespoir des membres du conseil de la vallée, pour que les enfants et les femmes puissent également aller dans les rues déguisés en « Tschäggättä » et pour lever l’interdiction de pratiquer cette coutume après le coucher du soleil.
« Avec des amis, nous avons fait, en signe de protestation, un cortège de Blatten en direction de Ferden » précise Heinrich. Agnes raconte qu’à l’époque, elle n’en savait rien. Aujourd’hui, il en résulte le cortège traditionnel des « Tschäggättä », cortège spectaculaire qui attire beaucoup de curieux dans la vallée du Lötschental.
Hilar Rieder écoute attentivement les récits de sa grand-mère et de son oncle. Lui aussi sculpte. Pas autant et pas avec autant d’habileté, admet le jeune homme de 20 ans. Les masques d’Agnes et d’Heinrich sont uniques et montrent un immense savoir-faire. Ils ont été primés à plusieurs reprises.
« Je n’ai pas encore ma propre signature lorsque je sculpte, » raconte Hilar. « Par contre, je me donne beaucoup de peine dans la confection de ma tenue. Il est important de se faire remarquer ». La grand-mère secoue la tête. « Je ne veux pas que des accessoires comme des chaînes ou autres viennent gâcher le costume traditionnel. Les jeunes doivent respecter l’esprit des « Tschäggättä », car c’est une merveilleuse tradition et, de surcroît, vous ne devriez pas faire des choses qui nuisent à cette tradition. »
Le fils Heinrich approuve les dires de sa maman quand bien même, dans ses jeunes années, il n’a guère fait mieux. Hilar souhaite pratiquer le « Tschäggättä » comme ses illustres prédécesseurs. Malheureusement, ce n’est plus possible. « Aujourd’hui, dès que tu rudoies un peu quelqu’un, il fait tout de suite appel à la police. »
Heinrich avoue que, dans le passé, ce fût autrement. Les gens avaient plus de respect envers les « Tschäggättä », car ils savaient aussi qu’il ne fallait pas s’approcher de trop près de ces derniers, sinon on s’en prenait une.

Une fois costumé, plus de règles
« Si je fais quelque chose qui ne plaît pas à ma grand-mère Agnes, cela veut dire que le « Tschäggättä » me possède, » explique le petit-fils Hilar. « Je deviens une autre personne pour laquelle aucune règle n’existe une fois que j’ai mis mon costume. » D’ailleurs, ce costume est tout sauf confortable. On ne voit presque rien à travers le masque, la respiration est difficile et les peaux et la cloche ont un certain poids.
Malgré cela, le « Tschäggättä » est une immense passion pour Heinrich et Hilar. « J’y pense tout le temps et partout. En été, lorsque je me promène dans la forêt et que je vois une belle branche, je me demande si je ne peux pas utiliser cette dernière pour confectionner une canne pour le carnaval » raconte Heinrich, et il poursuit: « Ma mère s’est engagée pour faire perdurer cette tradition, moi, en réalité, je ne le fais que pour moi. » On ressent dans ses paroles une très grande admiration pour sa mère. Grâce à elle et à sa descendance, qui vivent pleinement cette tradition, la coutume des « Tschäggättä » n’est pas prête de disparaître.

Agnes Rieder

Agnes Rieder

Agnes Rieder

Heinrich Rieder

Agnes Rieder

Hilar Rieder